• Comment évaluer des compétences ?

    Cette question se pose inévitablement car elle est récente dans la profession, en particulier dans la voie générale d’enseignement. Dans une école d’infirmiers on ne formule pas le problème sous cette forme : Pour être un bon professionnel, il faut savoir pratiquer, par exemple soigner une plaie correctement, faire une prise de sang sans tâtonner, et la certification vérifie que les gestes métiers sont acquis. L’expérience permet ensuite de se perfectionner.

    En ce qui concerne les compétences évaluables à l’école, l’acceptation à un niveau scolaire donné nécessite de définir des degrés d’acquisition. On ne peut demander à un élève de 6° d’être aussi performant qu’un élève de 3°.

    Par exemple, concernant la capacité « utiliser un instrument de mesure, de construction ou de calcul » qui permet de vérifier qu’un élève sait pratiquer une démarche scientifique cohérente, on peut attendre de lui qu’il sache :

    -          en 6°, réaliser une mesure avec un instrument simple dont l’utilisation lui est détaillée, en respectant les règles de sécurité,

    -          en 5° et 4°, réaliser une mesure avec un instrument simple qu’il connaît, en respectant les règles de sécurité,

    -          en 3°, réaliser une mesure avec un instrument dont il connaît les caractéristiques (précautions, estimation de l’erreur, conditions d’utilisation)

     

    On voit apparaître une complexité croissante dans les degrés d’acquisition. Certains élèves, plus habiles ou plus précoces, peuvent évidemment maîtriser à la fin de la quatrième ce qui est attendu un an plus tard. Contrairement aux connaissances qui s’ajoutent et finissent par former un réseau donnant du sens à la discipline, une compétence est définie dès le début. Son acquisition s’effectue par paliers et prend du temps[1]. Or, ce temps n’est pas le même pour tous, d’où l’importance de contrôler régulièrement pour chaque élève le niveau de maîtrise. Une fois acquise, cette compétence se perfectionne si elle est utilisée régulièrement, ou entre en sommeil si elle n’est plus assez souvent mise en œuvre. Cependant, celle-ci peut être rapidement réactivée si un besoin apparaît.

     

    Rappelons qu’une compétence est traditionnellement en ensemble de connaissances associées à des capacités et des attitudes pour répondre à un problème contextualisé. Dans l’exemple précédent, savoir réaliser correctement une mesure avec un appareil approprié ne peut se réaliser sans avoir des connaissances sur les conditions d’utilisation. Il faut aussi mobiliser la capacité de réalisation de la mesure et des attitudes spécifiques : être attentif aux problèmes de sécurité, être précis et critique vis à vis du résultat.

     

    Confronter les élèves à des tâches complexes les conduit à exprimer de véritables compétences dans des situations nouvelles

     

    Former aux compétences questionne les types de travaux demandés aux élèves et les modes d’évaluation, c’est-à-dire la pédagogie dans son ensemble. On ne peut pas faire acquérir une compétence par un travail basé exclusivement sur un amalgame de micro-compétences. Face à un problème quotidien, qu’il soit privé ou professionnel, la réponse à une problématique est rarement donnée par une succession de tâches simples. Il est évident qu’un élève aura à apprendre des techniques simples, des routines, mais il devra aussi être confronté à des tâches complexes car les tâches simples incitent davantage à la reproduction de procédures et laissent peu de place à l’initiative et l’innovation.

    Bien entendu le travail sur les tâches simples précède celui sur les tâches complexes.

    Concrètement, une tâche complexe mobilise des ressources internes (culturelles, de connaissances, de savoir faire …) liées au vécu scolaire ou extra scolaire et externes (aides méthodologiques, documents écrits ou multimédia, protocoles …). Dans ce contexte il faut souligner que le terme tâche complexe ne signifie pas compliquée.

     

    Lorsque le professeur propose une tâche complexe, le contexte est fourni. Il est suffisamment réaliste pour motiver la recherche. Une consigne de travail précise est communiquée. Chaque élève, ou groupe d’élèves, est incité à adopter une démarche personnelle de résolution. La confrontation de ces différentes démarches, à l’intérieur du groupe classe, est particulièrement propice au développement de l’imagination et de l’autonomie. Elle permet aussi de travailler une oralité authentique, c’est-à-dire l’expression, la construction de phrases, la présentation, la critique et le respect du travail de l’autre.

     

    On voit ainsi que préciser à l’élève ce qu’il est amené faire ne signifie pas comment s’y prendre. Avec l’habitude, quand les élèves ont pris confiance, quand on ne les bride pas et qu’on ne les amène pas sur des sentiers classiques et attendus on se rend compte alors de leur extraordinaire inventivité.

    Certains élèves peu habitués à résoudre ce type de problème demeurent tétanisés par l’impression de grande difficulté qu’ils ressentent. D’autres, au contraire, ont initié des pistes de réponses mais se retrouvent bloqués avant de parvenir au résultat. De manière générale, les élèves ne peuvent résoudre d’emblée la consigne sans tâtonner, essayer, recommencer, réfléchir, confronter leurs idées avec leurs voisins ou à l’intérieur de leur groupe. Quand un élève ou un groupe ne parvient pas à démarrer, le professeur apporte des aides qu’il aura préparées au moment de l’élaboration de la tâche complexe mais qu’il ne fournira que si le besoin s’en fait sentir (on les nomme souvent « coup de pouce »). Ces apports, personnalisés, sont liés soit à la démarche de résolution ou à des savoir-faire ou à des connaissances indispensable à la résolution.

     

    Pour évaluer le degré d’acquisition d’une compétence, il n’est pas obligatoire de proposer chaque fois un devoir écrit noté. Rappelons nous d’abord qu’une compétence, tant qu’elle n’est pas suffisamment acquise, doit faire l’objet d’une évaluation formative, c’est-à-dire d’une évaluation en cours de formation. Par conséquent il est plus profitable d’indiquer à l’élève si, dans le contexte donné, il a réussi à mobiliser ses savoirs et savoir faire, ou si il n’y parvient pas et pourquoi. On est ici dans le cadre d’un cours, avec une tâche complexe à résoudre, et non d’un devoir écrit.

    Pour évaluer le degré d’acquisition de la compétence travaillée pendant le cours, l’attitude du professeur est particulièrement fondamentale. Il s’agit :

    -          d’écouter les élèves et d’entrer dans leur cheminement intellectuel, de faire preuve de beaucoup de modestie et de ne pas imposer a priori une « méthode modèle »,

    -          de se mettre en retrait pour regarder les élèves en activité,

    -          de faciliter les échanges entre pairs

    -          de partager les productions et les réflexions des groupes (le tableau blanc interactif est un outil intéressant pour cela) pour croiser les regards et montrer la diversité des possibles

     

    Au moment du devoir (évaluation sommative) la tâche complexe proposée sera notée. On comprend facilement que l’évaluation des compétences exige de varier beaucoup plus les types d’exercices que dans le cas d’une simple évaluation de connaissances.

    Le type de compétence évaluée influence aussi la forme de l’évaluation proposée. Celle-ci peut être écrite, orale, ou expérimentale, individuelle ou collective. Elle peut intégrér l’utilisation des TICE ou non. En mathématiques ou en en sciences, elle peut volontairement exclure l’utilisation de la calculatrice.

    Outre la forme et le type d’exercice proposé, le professeur peut varier la durée et le moment. Une tâche complexe peut être proposée comme devoir maison si la question est très ouverte. Il sera aisé de voir qui a fait preuve d’originalité et qui a cherché à « copier », à « chercher la réponse sur internet » ou à « bâcler » le travail.

    Comme on le voit, travailler les compétences des élèves et les évaluer change la posture du professeur. Elle questionne aussi la façon dont les élèves s’approprient ces évolutions pédagogiques. Si la démarche est moins modélisante par rapport à un enseignement de type traditionnel, on se rend compte qu’elle peut mettre les mêmes élèves en difficulté scolaire si le professeur ne prend pas quelques précautions. En effet, le principe d’une mise en situation qui précède tout activité ne suffit pas à faire adhérer l’ensemble de la classe. Pour éviter de laisser les élèves les plus fragiles en dehors des apprentissages, le professeur a tout intérêt à prendre le temps de vérifier que tous se sont appropriés la situation et la consigne de travail, et que les documents qui sont divers et nombreux ont été bien compris[2].

     

    Comment évaluer des compétences ?



    [1] Au niveau international, le Québec a été pionnier dans les réformes qui mettent en avant l’approche par compétences et leur évaluation. Pour chaque compétence, 5 niveaux de maitrise sont proposés, avec le jugement global en fin de cycle suivant : 1- compétence de l’élève nettement en deça des exigences, 2- compétence en deça des exigences, 3- la compétence satisfait minimalement aux exigences, 4- la compétence satisfait clairement aux exigences, 5- la compétence dépasse les exigences. Comme toute réforme ambitieuse et novatrice, celle-ci a cependant des difficultés à être acceptées par les professeurs et les parents. Voir rapport IGEN « les compétences, nouveaux outils pour l’évaluation des acquis », p22-25. La réforme du socle, en France, propose une mise en œuvre qui s’inspire de cette évaluation à différents niveaux de réussite, au détriment de la réponse binaire adoptée à ce jour.

    [2] On pourra se référer aussi aux travaux du didacticien des mathématiques G. Brousseau : http://guy-brousseau.com/2325/le-contrat-didactique-et-le-concept-de-milieu-devolution-1990/

    Les concepts de situation didactique et de dévolution sont clairement décrits dans un article de Kuzniak intitulé «  la théorie des situations didactiques de Brousseau » : http://irem.u-strasbg.fr/php/articles/110_Kuzniak.pdf


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