• Une capsule vidéo créée en AP 6° par des élèves pour expliquer le vocabulaire de l'Ecole

     


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    L'école qui classel

    Joanie Cayouette-Remblière : L'Ecole qui classe

    interview dans le café pédagogique


  •  La laïcité est une des principales valeurs de la République française. Au-delà du concept si particulier à notre pays et que peu de nations ont érigé en acte fondateur comme la France, il faut entendre ce principe comme un moyen pour l’Etat de pacifier les tensions qui sont apparues dès la Révolution française entre les tenants d’une tradition régalienne et chrétienne et les fervents défenseurs d’une séparation de la foi et des affaires publiques.

    En effet, sous la Révolution il est instauré un état civil obligatoire pour tous les principaux actes de la vie (naissance, mariage, décès). Un baptême civil est même mis en place. Le calendrier est républicain et possède ses martyrs à l’instar des saints du calendrier catholique. Pour clarifier et pacifier la situation confuse qui règne dans le pays, Bonaparte propose le concordat, c’est-à-dire la reconnaissance officielle des cultes catholiques et protestants (et quelques années plus tard judaïque). Les évêques sont nommés par le gouvernement avec l’accord de la papauté. Ils sont rémunérés comme les prêtres et les pasteurs par l’Etat.

     

    Cependant, les liens entre la religion catholique et l’Etat restent tumultueux tout au long du 19° siècle et les difficultés s’intensifient après l’instauration de la troisième république. Comme le rappelle Jacques JULLIARD[1], il y a en réalité deux conceptions de la laïcité : la première repose sur l’abstention devant le fait religieux, la seconde sur la neutralité, c’est-à-dire le traitement égal de toutes les opinions religieuses. La première laïcité est celle des républicains du début du 20° siècle ; la seconde, plus proche de la problématique contemporaine, qui tend à abolir l’exception religieuse au profit d’une conception de l’objectivité scientifique. Si, dans la deuxième moitié du 19° siècle l’école s’organise en tant qu’institution républicaine, il est nécessaire de clarifier de nouveau la situation à l’orée du siècle suivant. Dès lors, le principe de laïcité est clairement mis en avant pour entériner les évolutions qui ont débouché sur une « nouvelle carte de l’instruction » et provoque la séparation de l’Eglise et de l’Etat par la promulgation d’une loi en 1905.

    Par la suite, le législateur confirmera cette prise de position : La laïcité est inscrite dans la constitution française depuis 1946. Elle souffre cependant aujourd’hui des tensions identitaires qui traversent le pays depuis une trentaine d’années et qui s’accentuent dernièrement avec un regain du sentiment religieux qui apparaît de manière diffuse chez les musulmans mais aussi dans les cercles catholiques traditionnels. On peut cependant noter que les problèmes les plus aigus ne se posent pas seulement à l’école, mais aussi dans les armées, les hôpitaux et les prisons.

     

    A la demande du ministre de l’éducation nationale, le conseil d’Etat a rendu un avis le 27 novembre 1989 statuant sur le port du voile à l’école. En 2003, une commission d’experts, présidée par Bernard STASI, est chargée d’apporter une réflexion nouvelle sur la question de la laïcité. Celle-ci débouche sur une loi votée le 15 mars 2004 puis sur une circulaire en mai précisant quelle tenue est acceptée à l’école, et quels sont les signes apparents autorisés.

    En 2013, une charte de la laïcité est écrite afin de préciser, à l’aide d’un discours positif, ce que recouvre cette notion complexe, mais aussi quels sont les droits et les devoirs de chacun en regard de la religion à l’école.

    Si la commission STASI a proposé aussi que les fêtes religieuses juives et musulmanes du Yom Kippour et de l’Aïd el-Kebir soient aussi des jours fériés dans les écoles, cette préconisation n’a pas été retenue à ce jour.

     

    D’un point de vue juridique, la laïcité repose désormais comme on l’a vu sur la neutralité de l’Etat en matière religieuse, ce qui impose l’égalité devant la loi de tous les citoyens, « sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il apparaît alors un principe de respect de la liberté de conscience et de culte qui entraîne l’égalité des religions et des convictions (y compris celle de ne pas croire).

    Il n’y a pas de hiérarchie entre les religions, et ceci quel que soit le nombre de fidèles qu’elles fédèrent. Ainsi, l’Etat est garant des libertés religieuses, en particulier vis-à-vis de celles qui sont minoritaires.

     

    A travers ce principe de neutralité, la laïcité se retrouve dans de nombreux textes de lois pour définir la manière de vivre ensemble mais aussi les obligations qui ont trait à l’espace public (pour les usagers comme pour les fonctionnaires ou salariés contractuels du public). La conséquence la plus visible est l’obligation pour l’administration de respecter cette neutralité et d’en porter les apparences vis-à-vis des usagers. C’est ce que le conseil d’Etat nomme le devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent d’un service public[2]. Si en dehors du service le fonctionnaire est libre de manifester ses croyances et opinions comme bon lui semble, dans le cadre de sa fonction il ne peut en aucun cas montrer une quelconque appartenance religieuse. Toute attitude ou port de signe religieux visible sont interdits. Ainsi, il n’est pas admis qu’un agent puisse arrêter son travail, même pour une courte durée, pour un quelconque acte religieux. Un office ne s’écoute pas à la radio, un téléphone portable n’a pas non plus à sonner pour rappeler l’heure de la prière. Pour des raisons évidentes, l’administration peut ajourner un candidat ou refuser une titularisation d’un fonctionnaire stagiaire si ces règles de droit sont mises en défaut, quelle que soit la qualité de son travail. 

     

    Si la laïcité s’applique sur tout le territoire français, des règles particulières existent pour les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, ainsi que pour quelques territoires d’Outre mer. Les trois départements d’Alsace-Moselle étant rattachés à l’Allemagne de 1870 à 1919 ils restent soumis au Concordat de 1801. En effet, quand ces départements ont réintégré la France, la nation a choisi de conserver cette « exception » juridique qui a été confirmée par le Conseil Constitutionnel. Pour autant la constitution et ses principes laïques doivent s’appliquer à toutes les régions de France. On voit là que la laïcité est capable « d’accommodation » si les citoyens en sont d’accord. Elle permet ainsi d’affirmer avec force le principe des valeurs fondatrices de la République, tout en s’adaptant à la marge à un contexte local. La question est de savoir qu’est ce qui peut être consenti et qu’est ce qui n’est pas acceptable ? Par exemple, la loi indique que les élèves ne peuvent se parer de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. En revanche des ports de signes religieux discrets sont tolérés (cette tolérance n’a d’ailleurs pas vocation à s’appliquer a priori aux agents). Dans tous les cas concrets qui se présentent à l’école, les professeurs ont tout intérêt à faire preuve de pragmatisme. Avant de prendre une décision hâtive, des explications sont nécessaires, même s’il s’agit tout simplement de rappeler la loi. La plupart du temps, un dialogue avec les familles permet d’apaiser les tensions et de résoudre les problèmes. Mais il est vrai aussi que la loi sur le port du foulard a été très utile pour stopper toutes les dérives qui sont apparues dans les années 80-90 et fait désormais l’unanimité au ministère de l’éducation nationale comme dans les établissements.

     

    Le dossier de l’inspection générale conduit par Dominique BORNE (voir référence dans la sitographie) intitulé « La laïcité au cœur des enseignements » introduit le sujet en indiquant que « l’Ecole a toujours été au cœur des débats de société concernant la laïcité » et montre où se situent les principales difficultés. Ainsi, « Les formes de manquements au principe de laïcité concernent non seulement les signes ostentatoires, mais aussi les refus et contestation d’activités ou de contenus d’enseignement, le racisme et l’antisémitisme, le prosélytisme, le refus et la violence à l’égard des filles. »

    Les disciplines qui font l’objet de la plupart des revendications sont l’histoire-géographie, les sciences de la vie et de la Terre, l’éducation physique et sportive parce qu’elles parlent de l’Homme, de sa place dans la société et dans l’univers et des interactions humaines.

     

    « Celui qui dit qu’un homme a le droit de s’opposer à la loi, dit que la volonté d’un homme est au dessus de la volonté de tous »[3]

     

    En histoire-géographie, c’est en montrant la diversité des modes de vie que l’on peut travailler la notion de tolérance et de respect. C’est aussi cela qui heurte bien sûr les fondamentalistes. Il est aussi important de rappeler que notre pays a un héritage culturel chrétien qui n’est pas incompatible avec l’acceptation laïque actuelle. C’est d’ailleurs parce que le pays a connu des moments de guerres civiles tragiques et meurtrières qu’il a construit ce corpus de valeurs qui lui est propre.

     

    En sciences de la vie et de la terre, deux thèmes d’étude sont à l’origine des refus observés. Le premier concerne la notion d’évolution darwinienne qui s’oppose à une lecture créationniste du monde. Face aux dénégations d’élèves, le professeur ne peut accepter d’entrer dans un débat qui mettrait sur le même plan un travail scientifique reposant sur des faits, des observations et les déductions qui en découlent et une conception qui repose exclusivement sur une croyance. Le professeur peut alors simplement indiquer qu’il propose une explication de type rationnel, mais qu’il laisse à chacun la liberté de conscience vis-à-vis d’une explication d’une autre nature.

    D’autre part, les polémiques qui se sont exacerbées dernièrement sur la question du « genre » ont montré la difficulté à faire entendre que la discipline des sciences de la vie et de la Terre n’enseigne pas des choix de pratiques sexuelles. Elle indique simplement que les individus sont variés et que cette diversité est le résultat de la génétique et des interactions que chacun entretient avec son entourage familial et social. Là encore la discipline s’attache à montrer une analyse fondée sur des argumentations scientifiques, sans chercher à s’opposer à une conception religieuse.

     

    En éducation physique et sportive, la pratique mixte d’un sport est parfois refusée. C’est tout l’intérêt de l’EPS de montrer que le sport à l’école est avant tout un acte éducatif qui permet la socialisation, une meilleure confiance en soi et le respect de son adversaire.

    Depuis quelques années les activités proposées sont beaucoup plus variées et le sport féminin retransmis à la télévision a montré que les garçons pouvaient se confronter aux filles, dans des équipes mixtes, en adoptant un esprit tout à fait fraternel.

    Il est clair que le problème de la tenue vestimentaire a ressurgi à cette occasion, dans certains endroits, en particulier à la piscine. L’obligation du port d’une tenue conforme à l’activité est bien entendu à mettre en lien avec le respect de la loi sur la laïcité et que l’absentéisme sélectif et de confort ne peut être justifié et accepté.

     

    On voit avec ces exemples que la notion de laïcité fait débat à l’école parce que la génération actuelle des adolescents n’en voit pas les enjeux en terme sociétal. De plus, celle-ci est présentée volontairement par ceux qui la rejettent de façon malhonnête comme une contrainte forte qui limiterait la liberté individuelle de croyance. Or, non seulement il n’en est rien, mais bien au contraire elle protège chacun dans son intimité de pensée. Adossées à un individualisme puissant, les attaques contre la laïcité permettent alors de fédérer de multiples mécontentements de tous ordres qu’il n’est pas toujours simple de contrer seul. C’est pourquoi, la communauté éducative a tout intérêt à rester soudée autour de ce principe fondateur de notre république.

    Récemment, le ministère de l’éducation nationale a rédigé une charte de la laïcité pour présenter sous un angle positif le contenu de la loi et en préciser ses contours. Cette charte dont l’affichage est obligatoire dans tous les établissements publics est appelée à être étudiée et commentée en classe sous la forme de débats. A cette occasion, les professeurs ne manqueront pas de rappeler que la cohésion nationale s’est construite sur un ensemble de valeurs républicaines dont la laïcité est un des principaux piliers. Pour expliquer cela aux jeunes, un kit pédagogique accompagne la diffusion de la charte, afin de préciser par des exemples concrets les contenus et les idées véhiculés par les textes qui la composent.

    Cette charte de la laïcité a aussi été distribuée aux établissements privés. En raison du « caractère propre » qui les identifie, et même si on peut le regretter, les directeurs n’ont pas d’obligation d’affichage de ce document.

     

    Si, comme le rappelle clairement la charte de la laïcité : « La Nation confie à l’Ecole la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République. », terminons ce paragraphe avec les mots que Jules ferry a adressé aux instituteurs dans sa célèbre lettre :

    Vous êtes l'auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge.

    Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : Au moment de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité.[4] 



    [1] Voir les commentaires instructifs de Jacques Julliard, « les gauches françaises », Flammarion, p 376. Pour de nombreux républicains de la troisième république, l’école laïque représentait le moyen le plus efficace d’évincer le sentiment religieux dans la société.

    [2] Il y a de temps en temps quelques tensions avec les mères voilées à propos des sorties pédagogiques, à l’école primaire. Il faut cependant rappeler que les parents n’accompagnent pas leur enfant mais sont associés à l’école en tant que collaborateurs occasionnels, dans le cadre d’une mission de service public. Or, les sorties scolaires sont des sorties pédagogiques et constituent le prolongement naturel du travail de classe. En cela, les parents doivent respecter toutes les règles de la laïcité.

    [3] Robespierre, contestant le veto royal

    [4] Jules Ferry, cité dans “la laïcité », éd Le seuil, revue française d’études constitutionnelles et politiques


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