• Ecole privée, école publique

     

     En 2011-2012, 2 084 000 élèves sont scolarisés dans un établissement privé, soit 17% de l’effectif total (Il s’élève à 21% pour ce qui concerne le secondaire). Ce taux varie fortement d’une académie à l’autre. Il est très élevé dans l’ouest de la France (40% dans l’académie de Rennes) et relativement faible à Limoges (8%) ou dans certaines grosses académies comme Créteil (9%).

    Cinq lois principales fixent le statut juridique des établissements d’enseignement privés :

    -         la loi « Goblet » du 30 octobre 1886 relative à l’enseignement primaire,

    -         la loi « Falloux » du 15 mars 1850 sur l’enseignement secondaire,

    -         la loi « Astier » du 25 juillet 1919 sur l’enseignement technique,

    -         la loi « Rocard » du 31 décembre 1984 sur l’enseignement agricole,

    -         la loi « Debré » du 31 décembre 1959 définissant les rapports actuels entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés.

     

    C’est la loi Debré qui régit l’existence des établissements privés (l’enseignement privé n’est pas reconnu en tant que tel). Ceux-ci sont pour leur quasi-totalité sous contrat avec l’Etat qui détient le monopole de la délivrance des grades et des titres universitaires (dont celui du baccalauréat). Ils doivent par conséquent respecter les programmes et les obligations définis par le code de l’éducation. Le rectorat et les services d’inspection attestent de la conformité dans le service d’éducation fourni, en terme pédagogique et administratif, pour tous les établissements privés. Le contrat oblige chaque établissement à accueillir les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance. En contre partie ils bénéficient de dotations publiques (état et collectivités) et les enseignants sont rétribués par l’état, mais sont salariés de droit privé. Les grilles indiciaires sont les mêmes dans le public et le privé. De légères différences peuvent cependant exister au niveau du salaire net puisque les cotisations aux caisses de retraites dépendent du régime (général et complémentaire dans un cas, fonctionnaire dans l’autre). Si de nombreux contractuels occupent des postes d’enseignement dans les établissements privés, leur titularisation obéit aux mêmes règles que pour le public en ce qui concerne le niveau de recrutement et la maîtrise des compétences professionnelles. Détenteurs du CAFEP, le certificat d’aptitude aux fonctions d’enseignement du privé, équivalent du CAPES pour le public, ils sont professeurs certifiés.

    Etant financés à la fois par l’état et les collectivités locales pour l’entretien des locaux et l’investissement au même titre que les établissements à caractère public, le reste à charge des familles (de l’ordre de 550 euros à 1000 euros par an) est utilisé principalement pour les activités éducatives non inscrites dans les programmes, et pour les activités confessionnelles.

     

    D’un point de vue fonctionnel, la gestion des établissements qui réglemente la vie quotidienne et dont dépend le personnel est la plupart du temps confiée à une association de type loi 1901. Une seconde association est en général propriétaire du terrain et des locaux qu’elle loue à l’association gestionnaire. Cependant, rien n’interdit que le régime de propriété soit différent, par exemple une SARL ou des personnes privées.

     

    Parmi l’ensemble des salariés, le chef d’établissement a un rôle et un positionnement particulier. Il est dénommé Directeur et non Principal ou Proviseur. Il élabore le projet pédagogique et éducatif, gère les volets administratif et financier. Dans les établissements catholiques, la très grande majorité des établissements privés, il dépend de l’organisme de gestion. Il apparaît alors une difficulté d’ordre juridique sur la responsabilité finale qui est a priori celle du président de l’association gestionnaire, mais que l’on impute parfois au chef d’établissement. Les jurisprudences ne sont pas toutes en accord sur ce point

    La multiplicité des formes, la complexité des structures qui impliquent l’évêché, l’état, des associations rendent peu lisible cette architecture aux contours mal définis des établissements privés.

     

    Pour mieux appréhender les spécificités de « l’enseignement privé » il est important de faire quelques brefs rappels historiques. Si les relations entre privé et public ont longtemps été difficiles, tendues et parfois houleuses, elles sont aujourd’hui à peu près apaisées depuis la loi Debré qui a permis finalement un certain rapprochement entre les deux systèmes. On pourra toutefois remarquer que ces dernières années on a pu voir quelques tensions réapparaître en lien avec des problématiques sociales et politiques touchant la famille et l’individu (en particulier la sexualité).

    Au 19° siècle, la « guerre scolaire » a d’abord concerné l’école primaire publique qui était localement en concurrence forte avec l’école privée. Parallèlement, des considérations idéologiques marquées séparaient fortement les deux camps. Elles correspondaient au clivage politique fort qui existait à cette époque, et qui accompagnait dans la douleur l’instauration durable de la république.

     

    Ministre de l’instruction publique en 1848-1849, Falloux a élaboré une loi qui a été votée le 15 mars 1850 pour organiser l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Controversée, vouée plusieurs fois à disparaître, cette loi est encore présente.

    Il faut considérer l’enseignement secondaire à cette époque comme étant fortement lié à l’Université impériale qui exerce un contrôle fort sur l’enseignement délivré. C’est ainsi que les établissements secondaires privés ne sont pas libres car leur direction impose l’achat  d’un brevet à l’Université et le versement d’une soulte annuelle. De plus, pour passer le baccalauréat il est obligatoire de terminer sa scolarité dans un établissement public. Entre 1830 et 1850, les combats d’idées entre les monarchistes, catholiques, et les républicains, laïques, sont au centre des batailles politiques. Thiers, l’homme fort de l’époque, abhorre tout ce qui provoque du désordre et ne porte pas dans son cœur les instituteurs et les universitaires. Mais un compromis devra être trouvé. Ainsi, la loi Falloux aura comme conséquence immédiate de donner au clergé et à ses représentants davantage de pouvoir au niveau du primaire en étant représenté au conseil académique et en lui octroyant un pouvoir d’inspection dans les écoles. [1]

    Concernant l’enseignement secondaire, il est surtout mis fin au monopole de l’Université sur l’enseignement secondaire. Ainsi, il suffira désormais d’être bachelier et d’avoir enseigné cinq ans pour pouvoir ouvrir un établissement privé en fournissant une simple déclaration auprès du Recteur. Dès lors de nombreux collèges et lycées privés seront ouverts et concurrenceront directement le secondaire public.

     

    La querelle scolaire n’est pas finie pour autant, et est ravivée à plusieurs reprises, au moment de l’affaire Dreyfus, au début du vingtième siècle et au début des années trente quand les députés radicaux et socialistes veulent nationaliser l’enseignement.

     

    Mais on a assisté dès 1945 avec le projet CAPITANT, qui n’a pas pu être mené à son terme, à une volonté de normalisation des relations de part et d’autre. Cela a abouti à la promulgation de la loi DEBRE en 1959. Le contexte d’immédiat après guerre est le suivant. Les établissements publics sont devenus gratuits, ce qui leur confère un avantage indéniable sur ceux du privé. D’autre part, le remplacement des religieux par des laïcs chargés de cours va entraîner des difficultés financières très importantes pour le clergé. Or, l’Etat n’a ni l’argent ni la volonté de nationaliser l’enseignement dans sa totalité et de rouvrir une « guerre scolaire ». Le compromis sera le suivant : L’état aide financièrement les établissements privés en contre partie d’une « supervision publique ». C’est le contrat d’association. On notera au passage que cette loi reconnaît explicitement les établissements privés sans légitimer le secteur privé dans son ensemble, ce qui met à l’écart le contrôle par les évêques.

    Une autre particularité importante est directement liée à l’article premier de la loi de 1959 qui indique que « L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyance, y ont accès. ». D’une part le terme de « caractère propre » a pu être interprété de manière très diverse pour justifier de certaines pratiques. D’autres part, il est évidemment stipulé que tous les enfants doivent pouvoir intégrer une école privée sous contrat sans que la religion n’interfère. En pratique, en fonction du taux de demandes, c'est-à-dire de la pression à l’entrée, les directeurs peuvent assez facilement choisir les dossiers qui sont en accord avec l’orientation de l’établissement. On remarquera cependant que dans les grandes villes, les populations favorisées ou bien intégrées utilisent le système privé, non par conviction religieuse, mais comme un moyen de déroger à une carte scolaire qu’ils jugent défavorables à une poursuite d’études réussie. Cela peut avoir un effet, localement, de ghettoïsation des établissements publics et privés. La hiérarchie de l’église s’est émue dernièrement de ce risque qui modifierait le lien qu’entretenaient habituellement les familles avec l’institution catholique pouvant interroger le « caractère propre » des établissements privés.

    Parvenu au pouvoir en 1981, François Mitterrand a proposé de créer un « grand service public, unifié et laïque de l’Education nationale ». Les raisons de ce choix sont encore débattues et controversées. Mais le rassemblement très mobilisateur de la sphère catholique a fait reculer la volonté gouvernementale et depuis la loi Debré semble installée pour de nombreuses années encore.

     

    On notera que pour beaucoup de familles, le passage entre public et privé est devenu banal et courant. Aujourd’hui, on choisit moins son école par volonté idéologique que par pragmatisme : on va dans le privé pour des raisons sociales et non par conviction religieuse. 

    Dans ces conditions, on peut se poser la question des spécificités du privé par rapport au public. Un premier fait évident : Il y a toujours eu la volonté de garantir le primat de l’éducatif sur le pédagogique dans les établissements privés, et inversement dans le public. Cependant, il faut se rendre à l’évidence, les changements de comportements observés dans la société ces dernières années et le besoin d’élever le niveau de qualification ont conduit les deux systèmes à se rapprocher et à considérer qu’on ne peut assurer correctement l’un sans tenir compte de l’autre.

    Toutefois, si les aspects liés à l’éducatif, à la famille ou au mal être de l’enfant sont particulièrement présents dans l’enseignement privé, ceux qui touchent à la citoyenneté le sont davantage dans le public.

    On pourra remarquer aussi que la prise en compte de l’individu dans sa globalité est souvent mieux réalisée par le secteur privé, du fait d’une écoute plus attentive. A contrario, l’ouverture au monde, aux idées novatrices (d’ordre philosophique ou pédagogique) est plus visible et plus courante dans le secteur public.

    Enfin, les difficultés financières récurrentes du secteur privé pour entretenir des bâtiments rarement adaptés aux conditions éducatives actuelles oblige les responsables à limiter les investissements dans les technologies du numérique (tableaux interactifs, ENT, centrales d’acquisitions en sciences), les salles de musique, d’éducation physique et sportive et les laboratoires (de sciences et de langues). A terme, cela pourrait devenir un inconvénient majeur à leur recrutement d’élèves.



    [1] Notons aussi que cette même loi a eu un autre type d’impact, puisqu’elle a imposé à toutes les communes de plus de 800 habitants d’ouvrir une école de filles. 


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