• L’Ecole fait l’objet de nombreuses études diverses depuis plusieurs décennies déjà. Elle est aussi devenue un objet d’évaluation en soi, comme tout ce qui concerne les politiques publiques. L’école française s’est ouverte, démocratisée, mais ne parvient pas comme beaucoup d’autres à juguler l’échec sévère, et son corollaire la déscolarisation. De nombreux pays ont décidé de comparer les systèmes d’éducation, d’analyser les résultats des élèves à partir de tests standardisés, pour aider au diagnostic des difficultés et des problèmes et réfléchir aux remèdes à leur apporter.

    PISA (« Program for International Student Assessment ») est un ensemble d’études de suivi des acquis des élèves menées par l’OCDE. Le premier programme date de 2000. Il a lieu tous les trois ans. La première série d’épreuves en 2000 (puis 2009) recherchait à évaluer la compréhension de l’écrit (compétences en litéracie), la seconde en 2003 la culture mathématique et en 2006 la culture scientifique. 

    Les effets de PISA

    Image tirée du site http://pointamine.canalblog.com

     

    Contrairement à la plupart des pays, la France a été très en retrait dans l’utilisation des résultats de l’enquête PISA car les protocoles mis en œuvre ont été, au moins au début, très contestés. En effet, construits pour évaluer les compétences des élèves de 15 ans, ils ne correspondaient pas aux traditionnelles évaluations de nos élèves qui sont (encore) assez focalisées sur les connaissances.

    Notons d’abord que les méthodes statistiques employées sont particulièrement bien pensées et construites pour couper court à toute polémique visant à contester la forme du programme. D’ailleurs, d’autres évaluations ont été menées par la France (service de la DEPP au ministère de l’éducation nationale, mais aussi évaluations parlementaires) qui ont permis de recouper la plupart des observations et des conclusions que PISA a formulées pour notre pays.

    Regardons cependant ces résultats avec l’œil critique du chercheur, mais sans a priori, pour essayer de comprendre le plus objectivement possible quelles sont les spécificités du système éducatif français, où il se situe par rapport aux autres, s’il répond aux attentes de la nation et aux exigences de la concurrence internationale.

     

    Le classement PISA n’a qu’un intérêt somme toute secondaire

     

    Le classement individuel constitue en soi une information assez pauvre, n’intéresse finalement que la presse et caricature le débat par des propos souvent virulents et hostiles. En y regardant de plus près, on constate que les pays participants à PISA se rassemblent en trois groupes : Le premier, dont les résultats sont les plus élevés, est constitué des pays anglo-saxons, de la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays Bas, les pays de l’Europe du Nord, le Japon et les petits pays asiatiques (dont la Corée du Sud et Taiwan). Le second groupe se situe à un niveau inférieur, intermédiaire. Ce sont les pays d’Europe de l’Est et de l’Europe du Sud qui en sont les principaux constituants. Le troisième groupe a des résultats assez faibles et est formé d’une dizaine de pays asiatiques et des pays d’Afrique du nord et d’Amérique latine.

    Ainsi, la France se situe en meilleure position que ce que laissent croire les articles de presse, mais n’occupe qu’une place médiane dans ce premier groupe, au même niveau que les Etats Unis, le Royaume Uni ou l’Allemagne par exemple.

    Faut il en conclure que tout va bien ou au contraire faut il regretter que nous n’occupions pas les premières places ?

    En fait, les résultats de PISA les plus intéressants ne se posent pas en ces termes.

    Les « lauréats » ne peuvent pas être des modèles en soi. Qu’y a-t-il de commun entre la Corée du Sud et la Finlande ? Si l’école coréenne est très dure pour les élèves, très élitiste et contraignante, il en va tout autrement pour l’école finlandaise qui est plutôt de nature bienveillante, égalitaire et soutient les élèves les plus fragiles par un accompagnement personnalisé très poussé.

     

    Quels sont les enseignements qui peuvent par conséquent être tirés de l’enquête PISA pour ce qui concerne la France ?

    Rappelons nous d’abord que les documents distribués lors de l’enquête sont de natures variées (diagrammes, textes, écrit journalistique, graphique, courrier de lecteur, facture, message internet…) afin d’évaluer la capacité de l’élève à mobiliser ses savoirs pour répondre à un problème que tout adulte peut rencontrer dans sa vie. L’évaluation ne concerne donc pas les programmes scolaires proprement dit mais le réinvestissement des compétences acquises dans des situations nouvelles, en prenant en compte la diversité des supports.

    On remarquera que les enquêtes successives montrent que la France, à travers ses pratiques d’enseignement, met plutôt l’accent sur la lecture et le déchiffrage de textes de nature littéraire, au détriment d’un travail sur la langue qui concernerait l’ensemble des disciplines. En effet, la formation humaniste est très prégnante chez nous. Mais elle peut avoir le défaut de laisser au professeur de français la seule responsabilité de la formation à la maîtrise de la langue, alors que celle-ci concerne justement l’ensemble des disciplines. Le professeur de français, c’est sa spécificité, s’occupe en plus de littérature.

    Or lire ne concerne pas seulement la littérature. Comment dès lors réinterroger les pratiques disciplinaires pour assurer une continuité pédagogique dans l’acte de lire ou d’écrire ?

    De manière similaire, les mathématiques sont vécues par beaucoup comme une discipline dont l’objet principal est la sélection des élèves. Or, les compétences en mathématiques imprègnent de nombreuses disciplines : la lecture d’un graphe en économie, en gestion, en histoire-géographie, les mesures statistiques en sciences de la vie et de la Terre, le calcul en physique-chimie pour ne citer que ces exemples démontrent l’importance de varier, comme pour les compétences de langue la nature des documents qui interrogent la gestion des nombres, les probabilités ou l’algèbre. PISA a montré en effet que c’est dans ces trois champs d’application des mathématiques que les élèves éprouvaient le plus de difficultés et répondaient le moins.

     

    On a beaucoup écrit sur les « non réponses » des élèves aux tests PISA. En effet, contrairement à d’autres pays, la France se distingue par un taux élevé de non réponses d’élèves. Quand ils ne savent pas, ils essaient peu et préfèrent s’abstenir…plutôt que se tromper. La peur d’être mal jugé. Cela interroge évidemment le statut et la prise en compte de l’erreur dans les apprentissages. Tous les professeurs disent que les élèves n’aiment pas et ne veulent pas écrire. Mais sous le prétexte qu’ils n’aiment pas écrire et ne se mettent pas spontanément à ce travail, on réduit fortement la part qui y est consacrée, ce qui ne permet pas de façonner une pensée rigoureuse et argumentée. Peut être faut il voir là la trop forte exigence immédiate des adultes, parents et professeurs, en particulier en matière orthographique et grammaticale, quand ils vérifient et corrigent les textes produits et veulent disposer de produits finis alors qu’ils sont en construction ?

    Or, on voit bien sur les forums internet ou dans les jeux en ligne que les adolescents écrivent beaucoup quand ils en ont envie, et quand la « censure » de la qualité de la langue n’est pas présente. Il n’est pas question dans ce propos de dire que tout est permis en matière d’orthographe et de grammaire, mais de montrer que le plaisir d’écrire et le devoir d’analyser par écrit sont des objectifs tout aussi louables et qui méritent de dépasser la crainte d’être bridé au niveau de l’orthographe. La correction du vocabulaire intervient après celle de l’agencement des propos. C’est pourquoi, lors d’une évaluation sommative, le vocabulaire et la grammaire sont sanctionnés à partir du moment où ils gênent la lecture et la compréhension. Cela autorise une certaine libéralité en classe de sixième et d’être progressivement beaucoup plus exigeant quand les niveaux se succèdent.

     

    Les détracteurs du programme PISA ont expliqué que la France avait fait le choix de conserver une éducation qui privilégie d’abord et avant tout la culture. Ne sommes nous pas le pays des lumières par excellence ? Et par conséquent, si les questions étaient davantage de cet ordre, le pays serait bien mieux classé.

    Depuis deux siècles les Cassandre se lamentent invariablement sur la baisse du niveau scolaire. Or, il n’y a qu’à comparer ce que savait un panel statistique d’enfants de 15 ans en 1950 et d’aujourd’hui (et pas seulement ceux qui avaient passé le certificat d’étude et se retrouvaient au lycée) pour se convaincre que le niveau global d’éducation a augmenté.

    Mais alors pourquoi la France se situe-t-elle juste au milieu des grands pays développés en matière de résultats PISA et pas au dessus, et surtout pourquoi constate-t-on leur dégradation depuis dix ans ?

    Les résultats en mathématiques, littératie et culture scientifique montrent que 15 à 20 % des élèves n’atteignent pas le niveau minimal requis pour avoir le brevet ou pour valider le socle. Le niveau moyen monte, mais les écarts entre les bons élèves et ceux qui sont plus faibles s’accroissent. On a beaucoup écrit sur ce problème très prégnant dans l’école française : celle-ci ne parvient pas à fournir les principales clés éducatives à 1/6° de la population. Les élèves de 15 ans qui poursuivent leurs études en lycée général ou technologique ont des résultats PISA excellents et ceux qui vont en lycée professionnel sont dans la moyenne européenne. Mais si l’élite est bien formée, ceux qui sont en grande difficulté sont de plus en plus en perdition dans un monde qui ne tolère plus ni l’illétrisme, ni l’inumérisme. Il s’agit  alors pour tout enseignant de porter un regard attentif et particulier à ces élèves qui n’apprennent pas, ou pas assez. La crainte de ne pas savoir s’occuper correctement au cours d’une même séance des élèves en échec et des élèves brillants se fait toujours  au détriment des premiers. C’est cet ordre qu’il faut questionner car les élèves qui réussissent ont aussi des facilités pour travailler en autonomie.

    En fait, les écarts entre les groupes augmentent parce que le chômage et la concurrence économique font peser sur les individus un impératif de réussite. Ainsi, le capital culturel de la famille va avoir un impact très important et grandissant sur les performances des enfants. Cette interaction est plus ou moins intense suivant les pays, mais les professeurs français utilisent inconsciemment plus que d’autres ce levier dans leur approche pédagogique pour animer leur cours, et pour évaluer les élèves[1]. L’analyse des textes des devoirs surveillés montre qu’il y a un fort implicite culturel et scolaire dans les questions posées.

     

    L’école ne peut pas tout. Qu’elle n’ajoute pas une couche d’inégalité supplémentaire aux difficultés rencontrées par les familles

     

    Nul n’ignore aujourd’hui l’importance du « capital mots » des enfants à l’entrée de la scolarité obligatoire pour assimiler les nouvelles connaissances et progresser plus facilement. Cela montre qu’il y a une obligation morale pour l’Etat d’accompagner autant que faire se peut les familles pour les convaincre de laisser le plus tôt possible leurs enfants à l’école maternelle. On soulignera d’ailleurs le cas primordial des familles allophones, ou qui ne stimulent pas suffisamment l’intellect des enfants. Cela ne signifie en aucun cas qu’ils sont de mauvais parents, mais toutes les familles ne sont pas égales pour aider les jeunes à acquérir le vocabulaire utile à un début de scolarité réussi.

     

    L’école de masse qui favorise l’égalité ne sacrifie pas à l’excellence. Un des résultats PISA les plus importants démontre que l’efficacité d’un système ne repose pas sur la sélection, et qu’une école égalitaire qui considère que chaque élève est important n’empêche pas la constitution d’une élite universitaire. En revanche, en augmentant le niveau des élèves les plus fragiles, elle réduit les risques de dérives sociales et sociétales, et promeut des talents qui auraient pu ne pas éclore, au bénéfice de toute la société.

    Etonnamment, les résultats PISA montrent pour l’ensemble des pays participants au programme que plus il y a d’élèves forts dans une discipline, moins il existe d’élèves en grande difficulté. Cela signifie qu’en agissant sur le niveau des plus faibles, non seulement on n’empêche pas l’émergence de très bons élèves dont la nation a aussi besoin, mais qu’au contraire tous les élèves profitent de l’élévation du niveau global.

    Cela apparaît moins paradoxal quand on sait que les professeurs passent beaucoup de temps à soutenir les élèves en difficulté et laissent en attente les autres. On ne peut donc leur faire grief d’une quelconque volonté d’élitisme délibéré. Peut être faut il voir là l’impact des méthodes d’apprentissages, encore frontales et peu personnalisées, et de l’organisation du système d’enseignement français trop souvent frileux pour accroître les marges d’autonomie et les possibilités d’expérimentations qui s’offrent dans les établissements.

     

    On notera que les résultats de PISA pour la France ont contribué à la prise de conscience collective que le redoublement coûtait très cher à la société et que le rapport coût/bénéfice était très faible, à quelques exceptions près (par exemple un élève gravement malade qui a interrompu sa scolarité). Il est en effet évalué à 2 milliards d’euros par an par le ministère de l’éducation nationale. De tous les pays de l’OCDE la France est celui qui fait le plus redoubler : 38% des élèves de 15 ans ont redoublé au moins une classe en France, contre 13% pour la moyenne OCDE…et 2% au Royaume-Uni. Ces chiffres laissent évidemment songeurs sur la pertinence de cette pratique. N’y aurait il pas d’autres moyens moins stressants et moins démotivants pour faire progresser des élèves qui n’ont pas atteints le niveau jugé suffisant pour changer de classe ? Il suffit aussi de regarder quels sont les élèves qui redoublent pour savoir que cette pratique ne souffre pas d’une grande justice : les critères de redoublement ne sont pas normalisés et sont laissés à l’initiative du conseil de classe. Il apparaît ainsi que les familles les plus au fait de la culture scolaire savent convaincre de la non pertinence d’un redoublement de leur enfant quand les autres accepteront sans rechigner.

    Dans ces conditions, si le redoublement était proscrit, on gagnerait à ce que le financement qui y était consacré soit réinvesti pour le suivi et l’accompagnement des élèves auxquels il s’adressait et non récupéré pour tout autre action.

     

    Si la méthodologie employée dans les enquêtes PISA fait l’objet d’un consensus actuellement, du fait de la rigueur adoptée dans son élaboration, une réponse visant à uniformiser les pratiques éducatives serait certainement contre-productive. Cela entraînerait un appauvrissement dans le domaine culturel scolaire, avec des structures et des méthodes identiques dans tous les pays qui répondraient au mieux aux critères définis par le programme, en faisant fi de l’histoire de chacun d’eux.

    Pour l’instant, la variété des systèmes en réussite prouve qu’il n’existe pas de modèle unique. C’est un acquis à préserver.

    En conséquence, ne cherchons pas ailleurs les raisons justifiant les changements qui doivent s’opérer dans l’école française. Aucun système éducatif n’est idéal. Tous cherchent à former au mieux la jeunesse qui lui est confiée. Sans être modélisant, plusieurs pays fournissent des pistes d’évolutions possibles. On parle souvent de la Finlande à titre élogieux. Si tout n’est pas adaptable, il est intéressant de constater que ce pays nordique n’a pas toujours vécu avec ce système éducatif dont les résultats font envie aux autres. Celui-ci était jusqu’au début des années 1970 assez sélectif et inégalitaire. Jusqu’au moment où les débats politiques ont montré la nécessité d’un changement. Des choix assez radicaux ont été opérés. La sélection à 11 ans est supprimée et les approches pédagogiques modifiées. Et surtout il n’apparaît plus de discontinuité dans le système éducatif entre 7 et 16 ans. On pourrait parler de la création d’une école du socle. C’est parce que la réforme a été progressivement mise en place dans les différentes régions finlandaises sur plusieurs années que ses effets ont pu être évalués en comparant les résultats obtenus dans les deux types de systèmes, l’ancien et le nouveau. Comme le débat sur l’école prend là bas une forme moins idéologique qu’en France, les changements ont pu être conduits à terme avec les effets positifs que l’on sait, mais surtout en rendant les uns et les autres plus responsables, plus confiants dans l’école, et optimistes sur le devenir des enfants.



    [1] Formés jusqu’au niveau master à l’excellence universitaire française, cette approche à la fois globale qui s’appuie sur le culturel et analytique qui vise à décortiquer les documents fournis leur est devenue tout à fait naturelle. Or, elle n’est pas du tout le fait de tous les pays qui proposent souvent d’autres types de formations supérieures.


  •               « L’école conservatrice »

    Quand le sociologue BOURDIEU a publié son étude en 1966 : « l’école conservatrice ; les inégalités devant l’école et devant la culture » le terme employé relevait d’un registre de langue accusateur pour exprimer un fait qui n’était pas évident à percevoir : l’école a un rôle déterminant dans la reproduction des élites ! En effet, il était plutôt admis que l’école pouvait être un ascenseur social en apportant les connaissances et la culture correspondante. L’école n’était elle pas le fer de lance de la méritocratie républicaine ? Il est certain que l’instruction générale s’améliorait en France et que des fils ou des filles d’ouvriers, d’employés, de paysans accédaient à des fonctions supérieures, plus valorisées socialement, plus rémunératrices. En pleine période des trente glorieuses, on ne pouvait qu’espérer un avenir meilleur pour ses enfants, à condition qu’ils travaillent suffisamment à l’école. L’école n’avait elle pas contribué à libérer le peuple de féodalités diverses en lui permettant de savoir lire, écrire, compter et par conséquent disposer d’un certain esprit critique ?

     

    Mais ce qui est intéressant dans ce document qui garde toute sa pertinence aujourd’hui, c’est qu’il n’énonce pas seulement des faits et des statistiques, mais qu’il démontre les processus qui conforte cette forme de « stabilité du corps social ». C’est d’abord par les formes d’enseignements qui sont parfaitement adaptées aux enfants qui baignent déjà dans un milieu culturel « classique » que la sélection va commencer à s’opérer. De plus, les pressions subtiles qu’exercent les classes aisées sur ceux qui définissent l’organisation scolaire ne favorisent pas non plus un certain égalitarisme prôné dans le verbe mais non dans les faits.

    L’inégalité des dons ne serait donc pas la seule responsable des succès et des échecs scolaires ?

     

    Si la prééminence des enfants de cadre et d’enseignants dans les écoles prestigieuses est toujours aussi forte aujourd’hui, il faut interroger les modes de sélection des concours. En effet, les bases sociales des Ecoles et des universités sont très différentes. La proportion d’étudiants issus de milieux favorisés est de 62% en Ecoles contre 46% en troisième cycle universitaire, qui est pourtant le plus sélectif de l’Université en terme social. Après avoir connu une relative démocratisation dans les années 60-70, la sélectivité sociale a opéré un grand retour en arrière à partir des années 80. De nombreux intellectuels s’en sont émus, et même les grandes écoles ont compris qu’elles devaient se préoccuper de leur recrutement par trop « aristocratique ». Des dispositifs d’ouverture sociales sont apparues, avec les expériences de Sciences Po ou de l’Essec (dispositif « PQPM, une grande école pourquoi pas moi ?) qui ont conduit à la création des « cordées de la réussite »  visant à favoriser l’ambition et aider les élèves issus de milieux ou de territoires défavorisés.

    Ainsi, les grandes écoles sont régulièrement accusées de favoriser une reproduction sociale des élites via un concours qui se pare des vertus de la méritocratie républicaine mais qui ne peut être réussi que par des étudiants issus pour la plupart de milieux favorisés.

     

    Démocratiser l’accès aux Grandes écoles pour donner du souffle au pays

     

    Au cours de la première moitié du vingtième siècle la probabilité pour un homme d’être diplômé d’une grande école est de l’ordre de 3,0 % d’une classe d’âge et 0,3% pour une femme ; mais celles-ci augmentent respectivement à 4,0 et 1,5% à la fin des années 2000. Il apparaît donc une relative raréfaction des places en regard du nombre de bacheliers qui a considérablement augmenté[2]. Ainsi, la concurrence ne faisant que s’accroître, c’est l’aspect culturel qui fait souvent la différence au moment du concours. Il faut ajouter à cela le critère financier : de nombreuses écoles de commerces sont payantes et même s’il existe des bourses, il est souvent difficile à des enfants d’ouvriers ou de professions intermédiaires de financer ce type d’études et surtout le logement quand on n’habite pas une métropole. Ainsi, 60 % des élèves d’une grande école d’ingénieur sont issus de familles dont le père est cadre supérieur (70% pour les écoles de commerce) quand 6% d’entre eux sont des enfants d’ouvriers ou d’employés (3% pour les écoles de commerce).

    Si on considère que la sélectivité sociale est déjà en soi un problème on ne peut que se scandaliser de l’évolution actuelle. Comme l’indiquait le ministre CHATEL « Le système s'est complètement retourné en trente ans. Il ne fait que reproduire les inégalités sociales au lieu de lutter contre leurs prédéterminations»[3].

    Le problème est que ce mode de sélection des élites est de moins en moins efficace et finit aussi par mettre en danger la nation parce qu’il ne permet pas la réussite des talents nouveaux et originaux dont la France a besoin.

     

    Pour citer Bourdieu : «  Chaque famille transmet à ses enfants, par des voies indirectes plutôt que directes, un certain capital culturel et un certain ethos, système de valeurs implicites et profondément intériorisées, qui contribue à définir entre autres choses les attitudes à l’égard du capital culturel et à l’égard de l’institution scolaire »[4]. L’intensité des attentes des familles expliquerait fortement les taux de réussite de chaque catégorie d’élèves (au sens défini par l’insee). Il faut ajouter à cela l’inégalité dans l’accès à l’information pertinente en terme de cursus d’orientation pour rendre compte de l’écart constaté entre les taux de poursuite vers les voies d’excellence.

     

    On peut noter aussi que la démocratisation de l’école ne peut s’opérer qu’en travaillant la qualité de la langue (parlée et écrite), et ce dès le plus jeune âge. La richesse du vocabulaire, la compréhension fine de la syntaxe, sont des atouts majeurs pour intervenir en société mais aussi pour comprendre, analyser et retranscrire en termes pertinents des pensées complexes. Il est donc essentiel, pour tous les professeurs, dans toutes les disciplines, de s’attacher à travailler au collège comme au lycée la maîtrise de la langue. En effet, celle-ci n’est pas liée à la seule étude des textes littéraires qui relèvent du cours de français, mais de savoir décoder des schémas, des documents scientifiques, des textes du quotidien et de pouvoir réutiliser à bon escient le matériau intellectuel ainsi obtenu.

     

    La charge d’éducation est en principe partagée par les familles et l’école. On peut dès lors se poser la question de savoir comment on peut favoriser la prise en compte de la richesse des cultures dans l’appropriation des savoirs et s’en servir comme d’un moteur puissant d’apprentissages. Car c’est en brassant les idées qu’on développe les imaginations. Le travail du maître est par la suite d’apprendre à l’élève comment traiter rigoureusement l’information créée pour produire un travail construit et intelligible. Or, le système scolaire français semble imposer une norme restrictive qui ne bénéficie qu’à une élite maîtrisant certains codes culturels classiques et qui peut brider l’initiative. Il ne s’agit pas de tout accepter mais de créer les conditions pour que le brassage des idées puisse apporter une plus value au groupe et à chaque individu.

     

    Bourdieu, et d’autres auteurs comme Lewin[5], soulignent que la réussite est un moteur puissant qui entretient le succès. Chaque pallier atteint est l’occasion de se lancer un nouveau but à atteindre, mais pas trop éloigné du précédent[6]. En effet, pour y parvenir il est nécessaire d’intellectualiser la faisabilité de l’objectif. Il est par conséquent illusoire de d’indiquer à un élève en échec que la barre à atteindre est définie par le programme de la classe X, si son niveau objectif se situe deux classes en dessous. A contrario, un élève en échec sur un objectif peut très rapidement perdre confiance et se situer dans une attitude de refus vis-à-vis de la discipline. On voit là l’importance de contractualiser avec les élèves et d’adopter une notation positive et valorisante dans les devoirs surveillés, y compris pour des élèves en difficulté, en optant pour des contrôles dont les contenus sont différentiés.

    Dans la même logique, le changement de niveau et l’orientation sont souvent vécus par de nombreux élèves et parents comme des paliers annuels qui doivent être traités quand le troisième trimestre survient. En revanche, dans les milieux favorisés on va anticiper les difficultés et rencontrer les professeurs, expliquer comment l’enfant va améliorer ses résultats en proposant un protocole de suivi à la maison. Une forme d’accord tacite et complètement involontaire apparaît pour laisser plus facilement la possibilité de s’engager dans la voie générale, à niveau égal, quand la famille dispose de ces codes culturels. Il s’agit donc pour le professeur d’en être conscient, de soutenir plus intensément les élèves quand le recours à la famille est plus aléatoire et ainsi de ne pas oblitérer leurs possibilités de poursuites d’études.



    [2] D’après les statistiques de la DEPP, la proportion de bacheliers dans une génération reste inférieure à 5% au cours de la première moitié du 20° siècle et atteint 76,7% en 2012

    [3] Voir l’article du journal Le Figaro.fr en date du 8/01/2010

    [4] Bourdieu, l’école conservatrice

    [5] LEWIN, « Comportement et développement comme fonction de la situation totale », PUF, 1952

    [6] VYGOTSKY a développé le concept de « zone proximale de développement » (ZPD) pour rendre compte de ses observations : Un élève peut apprendre et réaliser certaines activités seul. Il peut aussi réussir en étant aidé par un autre élève ou par le professeur, si les taches qui lui sont données ne sont pas trop complexes pour lui, c’est-à-dire dans des situations qui se situent dans sa ZPD. Pour cela le rôle du langage comme vecteur de communication est essentiel.


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     En 2011-2012, 2 084 000 élèves sont scolarisés dans un établissement privé, soit 17% de l’effectif total (Il s’élève à 21% pour ce qui concerne le secondaire). Ce taux varie fortement d’une académie à l’autre. Il est très élevé dans l’ouest de la France (40% dans l’académie de Rennes) et relativement faible à Limoges (8%) ou dans certaines grosses académies comme Créteil (9%).

    Cinq lois principales fixent le statut juridique des établissements d’enseignement privés :

    -         la loi « Goblet » du 30 octobre 1886 relative à l’enseignement primaire,

    -         la loi « Falloux » du 15 mars 1850 sur l’enseignement secondaire,

    -         la loi « Astier » du 25 juillet 1919 sur l’enseignement technique,

    -         la loi « Rocard » du 31 décembre 1984 sur l’enseignement agricole,

    -         la loi « Debré » du 31 décembre 1959 définissant les rapports actuels entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés.

     

    C’est la loi Debré qui régit l’existence des établissements privés (l’enseignement privé n’est pas reconnu en tant que tel). Ceux-ci sont pour leur quasi-totalité sous contrat avec l’Etat qui détient le monopole de la délivrance des grades et des titres universitaires (dont celui du baccalauréat). Ils doivent par conséquent respecter les programmes et les obligations définis par le code de l’éducation. Le rectorat et les services d’inspection attestent de la conformité dans le service d’éducation fourni, en terme pédagogique et administratif, pour tous les établissements privés. Le contrat oblige chaque établissement à accueillir les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance. En contre partie ils bénéficient de dotations publiques (état et collectivités) et les enseignants sont rétribués par l’état, mais sont salariés de droit privé. Les grilles indiciaires sont les mêmes dans le public et le privé. De légères différences peuvent cependant exister au niveau du salaire net puisque les cotisations aux caisses de retraites dépendent du régime (général et complémentaire dans un cas, fonctionnaire dans l’autre). Si de nombreux contractuels occupent des postes d’enseignement dans les établissements privés, leur titularisation obéit aux mêmes règles que pour le public en ce qui concerne le niveau de recrutement et la maîtrise des compétences professionnelles. Détenteurs du CAFEP, le certificat d’aptitude aux fonctions d’enseignement du privé, équivalent du CAPES pour le public, ils sont professeurs certifiés.

    Etant financés à la fois par l’état et les collectivités locales pour l’entretien des locaux et l’investissement au même titre que les établissements à caractère public, le reste à charge des familles (de l’ordre de 550 euros à 1000 euros par an) est utilisé principalement pour les activités éducatives non inscrites dans les programmes, et pour les activités confessionnelles.

     

    D’un point de vue fonctionnel, la gestion des établissements qui réglemente la vie quotidienne et dont dépend le personnel est la plupart du temps confiée à une association de type loi 1901. Une seconde association est en général propriétaire du terrain et des locaux qu’elle loue à l’association gestionnaire. Cependant, rien n’interdit que le régime de propriété soit différent, par exemple une SARL ou des personnes privées.

     

    Parmi l’ensemble des salariés, le chef d’établissement a un rôle et un positionnement particulier. Il est dénommé Directeur et non Principal ou Proviseur. Il élabore le projet pédagogique et éducatif, gère les volets administratif et financier. Dans les établissements catholiques, la très grande majorité des établissements privés, il dépend de l’organisme de gestion. Il apparaît alors une difficulté d’ordre juridique sur la responsabilité finale qui est a priori celle du président de l’association gestionnaire, mais que l’on impute parfois au chef d’établissement. Les jurisprudences ne sont pas toutes en accord sur ce point

    La multiplicité des formes, la complexité des structures qui impliquent l’évêché, l’état, des associations rendent peu lisible cette architecture aux contours mal définis des établissements privés.

     

    Pour mieux appréhender les spécificités de « l’enseignement privé » il est important de faire quelques brefs rappels historiques. Si les relations entre privé et public ont longtemps été difficiles, tendues et parfois houleuses, elles sont aujourd’hui à peu près apaisées depuis la loi Debré qui a permis finalement un certain rapprochement entre les deux systèmes. On pourra toutefois remarquer que ces dernières années on a pu voir quelques tensions réapparaître en lien avec des problématiques sociales et politiques touchant la famille et l’individu (en particulier la sexualité).

    Au 19° siècle, la « guerre scolaire » a d’abord concerné l’école primaire publique qui était localement en concurrence forte avec l’école privée. Parallèlement, des considérations idéologiques marquées séparaient fortement les deux camps. Elles correspondaient au clivage politique fort qui existait à cette époque, et qui accompagnait dans la douleur l’instauration durable de la république.

     

    Ministre de l’instruction publique en 1848-1849, Falloux a élaboré une loi qui a été votée le 15 mars 1850 pour organiser l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Controversée, vouée plusieurs fois à disparaître, cette loi est encore présente.

    Il faut considérer l’enseignement secondaire à cette époque comme étant fortement lié à l’Université impériale qui exerce un contrôle fort sur l’enseignement délivré. C’est ainsi que les établissements secondaires privés ne sont pas libres car leur direction impose l’achat  d’un brevet à l’Université et le versement d’une soulte annuelle. De plus, pour passer le baccalauréat il est obligatoire de terminer sa scolarité dans un établissement public. Entre 1830 et 1850, les combats d’idées entre les monarchistes, catholiques, et les républicains, laïques, sont au centre des batailles politiques. Thiers, l’homme fort de l’époque, abhorre tout ce qui provoque du désordre et ne porte pas dans son cœur les instituteurs et les universitaires. Mais un compromis devra être trouvé. Ainsi, la loi Falloux aura comme conséquence immédiate de donner au clergé et à ses représentants davantage de pouvoir au niveau du primaire en étant représenté au conseil académique et en lui octroyant un pouvoir d’inspection dans les écoles. [1]

    Concernant l’enseignement secondaire, il est surtout mis fin au monopole de l’Université sur l’enseignement secondaire. Ainsi, il suffira désormais d’être bachelier et d’avoir enseigné cinq ans pour pouvoir ouvrir un établissement privé en fournissant une simple déclaration auprès du Recteur. Dès lors de nombreux collèges et lycées privés seront ouverts et concurrenceront directement le secondaire public.

     

    La querelle scolaire n’est pas finie pour autant, et est ravivée à plusieurs reprises, au moment de l’affaire Dreyfus, au début du vingtième siècle et au début des années trente quand les députés radicaux et socialistes veulent nationaliser l’enseignement.

     

    Mais on a assisté dès 1945 avec le projet CAPITANT, qui n’a pas pu être mené à son terme, à une volonté de normalisation des relations de part et d’autre. Cela a abouti à la promulgation de la loi DEBRE en 1959. Le contexte d’immédiat après guerre est le suivant. Les établissements publics sont devenus gratuits, ce qui leur confère un avantage indéniable sur ceux du privé. D’autre part, le remplacement des religieux par des laïcs chargés de cours va entraîner des difficultés financières très importantes pour le clergé. Or, l’Etat n’a ni l’argent ni la volonté de nationaliser l’enseignement dans sa totalité et de rouvrir une « guerre scolaire ». Le compromis sera le suivant : L’état aide financièrement les établissements privés en contre partie d’une « supervision publique ». C’est le contrat d’association. On notera au passage que cette loi reconnaît explicitement les établissements privés sans légitimer le secteur privé dans son ensemble, ce qui met à l’écart le contrôle par les évêques.

    Une autre particularité importante est directement liée à l’article premier de la loi de 1959 qui indique que « L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyance, y ont accès. ». D’une part le terme de « caractère propre » a pu être interprété de manière très diverse pour justifier de certaines pratiques. D’autres part, il est évidemment stipulé que tous les enfants doivent pouvoir intégrer une école privée sous contrat sans que la religion n’interfère. En pratique, en fonction du taux de demandes, c'est-à-dire de la pression à l’entrée, les directeurs peuvent assez facilement choisir les dossiers qui sont en accord avec l’orientation de l’établissement. On remarquera cependant que dans les grandes villes, les populations favorisées ou bien intégrées utilisent le système privé, non par conviction religieuse, mais comme un moyen de déroger à une carte scolaire qu’ils jugent défavorables à une poursuite d’études réussie. Cela peut avoir un effet, localement, de ghettoïsation des établissements publics et privés. La hiérarchie de l’église s’est émue dernièrement de ce risque qui modifierait le lien qu’entretenaient habituellement les familles avec l’institution catholique pouvant interroger le « caractère propre » des établissements privés.

    Parvenu au pouvoir en 1981, François Mitterrand a proposé de créer un « grand service public, unifié et laïque de l’Education nationale ». Les raisons de ce choix sont encore débattues et controversées. Mais le rassemblement très mobilisateur de la sphère catholique a fait reculer la volonté gouvernementale et depuis la loi Debré semble installée pour de nombreuses années encore.

     

    On notera que pour beaucoup de familles, le passage entre public et privé est devenu banal et courant. Aujourd’hui, on choisit moins son école par volonté idéologique que par pragmatisme : on va dans le privé pour des raisons sociales et non par conviction religieuse. 

    Dans ces conditions, on peut se poser la question des spécificités du privé par rapport au public. Un premier fait évident : Il y a toujours eu la volonté de garantir le primat de l’éducatif sur le pédagogique dans les établissements privés, et inversement dans le public. Cependant, il faut se rendre à l’évidence, les changements de comportements observés dans la société ces dernières années et le besoin d’élever le niveau de qualification ont conduit les deux systèmes à se rapprocher et à considérer qu’on ne peut assurer correctement l’un sans tenir compte de l’autre.

    Toutefois, si les aspects liés à l’éducatif, à la famille ou au mal être de l’enfant sont particulièrement présents dans l’enseignement privé, ceux qui touchent à la citoyenneté le sont davantage dans le public.

    On pourra remarquer aussi que la prise en compte de l’individu dans sa globalité est souvent mieux réalisée par le secteur privé, du fait d’une écoute plus attentive. A contrario, l’ouverture au monde, aux idées novatrices (d’ordre philosophique ou pédagogique) est plus visible et plus courante dans le secteur public.

    Enfin, les difficultés financières récurrentes du secteur privé pour entretenir des bâtiments rarement adaptés aux conditions éducatives actuelles oblige les responsables à limiter les investissements dans les technologies du numérique (tableaux interactifs, ENT, centrales d’acquisitions en sciences), les salles de musique, d’éducation physique et sportive et les laboratoires (de sciences et de langues). A terme, cela pourrait devenir un inconvénient majeur à leur recrutement d’élèves.



    [1] Notons aussi que cette même loi a eu un autre type d’impact, puisqu’elle a imposé à toutes les communes de plus de 800 habitants d’ouvrir une école de filles. 


  •  

     Le système éducatif est en train d’évoluer assez rapidement. On vient de voir que l’école du socle commun était née, à l’instar de ce qui existe dans l’Europe du Nord, en associant plus étroitement le premier degré et le collège. L’Université s’est aussi transformée. La loi d’autonomie des Universités (loi LRU ou loi Pécresse) date de 2007. Par cette loi, chaque Université accède à l’autonomie relativement au domaine budgétaire et à la gestion des ressources humaines. L’objectif étant de revaloriser l’Université et de la rendre plus attractive, que ce soit en terme de politique de recherche ou d’enseignement. En ce qui concerne la recherche il s’agit d’améliorer le positionnement de l’Université française dans les comparaisons internationales. Et pour l’enseignement, le législateur a voulu réduire les taux d’échec observés dans les premiers cycles, améliorer le suivi des étudiants et rendre plus lisible l’architecture des études. Quand on entre à l’Université les sorties s’effectuent désormais soit au niveau licence, soit au niveau master ou doctorat.

    Pour réussir ce pari d’une transition lycée-université réussie, il apparaît prioritaire de renforcer la liaison entre le lycée et l’Université. Quand l’université propose un plan « réussir en licence »[1] qui prévoit d’accompagner plus individuellement les étudiants, le lycée se voit en parallèle contraint de mieux préparer les élèves à l’accès dans le cursus supérieur. Où l’on retrouve l’idée fondamentale que le baccalauréat est bien le premier diplôme universitaire, mais encore faut il que le bachotage ne soit pas la finalité de la formation lycéenne, mais seulement la partie émergée.

     

    Les élèves et les familles ont beaucoup de difficultés à se projeter au-delà du baccalauréat, sauf pour celles qui disposent des codes de réussite, en particulier les cadres et les enseignants. Le nez rivé sur le sacro saint diplôme du baccalauréat, peu entrevoient l’importance d’une préparation spécifique à l’enseignement supérieur.

    Il est par conséquent dans la mission actuelle du professeur de lycée d’organiser son enseignement avec ce double objectif de réussite à l’examen et de préparation à l’entrée à l’Université.

     

    Or, les changements à l’Université ont été si importants ces dernières années, que les professeurs ne disposent plus des codes pertinents pour préparer leurs élèves, la plupart du temps, ou même tout simplement pour les conseiller. De manière similaire, bien peu d’universitaires ont suivi et compris les enjeux de la réforme du lycée, avec l’introduction des baccalauréats professionnels, la modification des baccalauréats technologiques, la spécialisation progressive en voie générale et l’accompagnement personnalisé. Il n’y a qu’à voir leur désarroi quand ils observent l’arrivée dans les amphithéâtres des bacheliers technologiques. Cette double réforme du LMD[2] et du lycée ne pourra fonctionner complètement qu’à la condition d’un rapprochement entre enseignants du secondaire et du supérieur.

    L’enjeu de la liaison est fondamental, dans l’intérêt de tous, élèves, lycées, universités. Les solutions apportées aux problèmes actuels dépendront de la manière dont les enseignants se saisiront des problèmes et comment ils accepteront de collaborer, d’échanger, de travailler ensemble, de croiser les regards sur les méthodes des uns et des autres. Très souvent les enseignements au lycée et à l’Université sont en décalage pour une même discipline. On le voit en particulier pour les sciences humaines, mais aussi pour les sciences économiques et sociales. Préparer les élèves à l’université c’est, pour les professeurs de lycée, d’abord mieux comprendre comment s’organisent les enseignements dans le supérieur, et pour les universitaires mieux approcher la didactique du secondaire. Le fossé ne peut alors se combler que par des rencontres, ou lors de séminaires ou encore en élaborant des ressources communes et complémentaires qui peuvent être proposées en accompagnement personnalisées et à l’entrée en L1.

     

    La liaison ne va pas de soi. La confiance se gagne dans le temps. Les résistances et les a priori seront nombreux pour limiter les avancées. Mais ni l’Université ni le lycée n’ont le choix. Ils sont condamnés à collaborer et à imaginer un avenir qui s’écrira à deux mains. Pour cela, les corps d’inspection et les chefs d’établissements ont une responsabilité immense, pour accompagner les réformes, les faire entendre, créer des ponts en proposant des formations communes, inscrites dans un plan académique, ou élaborées localement au niveau d’un bassin.

    Le continuum bac-3 ; bac+3


  •  Décrypter la logique et la continuité des programmes du primaire au lycée : l’exemple des sciences

     

    Une bonne connaissance de l’ensemble des programmes disciplinaires, de leurs préambules tout autant que de leurs contenus, ne peut être négligée pour aider les élèves à s’insérer dans un parcours construit. Il est important aussi d’avoir une idée  des programmes mis en œuvre dans les disciplines voisines, en particulier quand des recoupements apparaissent.

    C’est pourquoi, les professeurs de lycées ont tout intérêt à consulter le bulletin officiel qui définit le programme du collège. De même, les professeurs de collège doivent s’imprégner des apports de l’école primaire. En effet, on ne construit pas une séquence pédagogique de manière identique quand il s’agit d’appréhender ou de réinvestir une connaissance.

    Il n’est pas non plus inutile de regarder le programme des classes supérieures, ceux des classes préparatoires pour un professeur qui enseigne en première et terminale et ceux de lycée pour un professeur de collège. Ils indiquent en effet ce qui doit être acquis au niveau considéré mais aussi les limites à ne pas dépasser (les tentations sont souvent grandes).

     

    Prenons l’exemple en sciences physiques et chimiques pour étayer le propos. La consultation des programmes de l’école primaire[1], du collège[2] et du lycée[3] et du contenu du livret de connaissances et de compétences[4] montre d’abord qu’il apparaît une évidente continuité dans la démarche scientifique adoptée :

    La démarche d’investigation est préconisée, chaque fois qu’il est possible, pour répondre à une problématique. Elle propose un caractère manipulatoire affirmé mais aussi de savoir questionner le problème et poser des hypothèses au préalable. L’argumentation scientifique est le deuxième point fort de tout apprentissage en sciences. Elle se pratique au moment de l’expérimentation, mais aussi lors des activités à caractère documentaires. Il s’agit, après avoir recherché et extrait des informations pertinentes de documents divers (textes, tableaux, courbes, images, vidéo,…) de répondre à un questionnement précis, limité ou ouvert, pour résoudre un problème.

    On le voit, cette communication oblige d’avoir recours au français mais impose aussi l’utilisation de codes particuliers liés à la discipline. Une maîtrise de la langue suffisante est donc indispensable pour réussir en sciences comme en lettres, pour comprendre les textes, les consignes et pour étayer le propos lors de la restitution.

     

    On pourra remarquer que les programmes et le socle sont dans le cas des sciences en cohérence et utilisent les mêmes verbes d’action pour expliciter la démarche, à tous les niveaux. A l’école primaire, pour l’item correspondant à la démarche scientifique, il est écrit pour le pallier 2 : Pratiquer une démarche d’investigation : savoir observer, questionner/Manipuler et expérimenter, émettre une hypothèse et la tester, argumenter, mettre à l’essai plusieurs pistes de solutions/exprimer et exploiter les résultats d’une mesure et d’une recherche en utilisant un vocabulaire scientifique à l’écrit ou à l’oral.

    Au collège, pour le pallier 3 : Pratiquer une démarche scientifique : Rechercher, extraire et organiser l’information utile/Réaliser, manipuler, mesurer, calculer, appliquer des consignes/Raisonner, argumenter, pratiquer une démarche expérimentale ou technologique, démontrer/présenter la démarche suivie, les résultats obtenus, communiquer à l’aide d’un langage adapté.

    Et au lycée en voie S, dans le préambule du programme : Initier l’élève à la démarche scientifique c’est lui permettre d’acquérir des compétences (raisonner pour identifier un problème, émettre des hypothèses…)/mobiliser ses connaissances, rechercher, extraire et organiser l’information utile, raisonner, argumenter/Dans la continuité du collège la démarche d’investigation s’inscrit dans cette logique pédagogique.

     

    De plus, la continuité des domaines scientifiques s’élabore en respectant une progressivité dans la construction des concepts. Si on prend l’exemple de la matière, on étudiera :

    -         à l’école les différents états de la matière, quelques propriétés macroscopiques,

    -         en cinquième on complètera par les définitions qui font référence aux solutions et aux mélanges,

    -         en quatrième on aborde les molécules et les ions,

    -         en troisième, on caractérise les métaux, les ions et on s’intéresse aux acides et bases

    -         en seconde, on va plus loin dans les concepts microscopiques en définissant l’élément chimique, la classification périodique, les premières règles de chimie organique,

    -         en première S les relations entre structures et propriétés sont mises en évidence, ainsi que la quantification de l’énergie

    -         en terminale on entre dans les détails : carbone asymétrique, formule topologique, liaisons polarisées…

     

    Comme on le voit, il est important pour chaque professeur de bien concevoir son rôle dans cette chaîne du savoir car il s’inscrit dans un processus bien défini. C’est en partie par son action au quotidien qu’il donnera les moyens et l’envie à l’élève de poursuivre correctement sa scolarité pour lui permettre de se projeter dans la classe supérieure.

     

    Continuité des programmes





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